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El mag lob
16 mars 2011

Jurassic Park (car il faut bien commencer quelque part)

 

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Jurassic Park est un film à gros budget réalisé par Steven Spielberg et sorti en 1993. Il s'agit d'une adaptation libre du roman du même nom de Michael Crichton. Dans ce film, John Hammond parvient grâce à des technologies avancées et onéreuses (il répètera à de nombreuses reprises « j'ai dépensé sans compter ») à créer des dinosaures destinés à devenir les attractions de son parc à thème le « Jurassic Park ». Peu avant l'ouverture du parc, il convie le paléontologue Alan Grant, interprété par Sam Neill, sa compagne : la paléobotaniste Ellie Sattler interprétée par Laura Dern, le mathématicien Ian Malcolm interprété par Jeff Goldblum ainsi que ses deux petits enfants à visiter son parc et et l'approuver. En parallèle, Dennis Nedry, informaticien en chef du parc se voit confié la mission de voler les embryons génétiques des 15 espèces de dinosaures du parc en coupant les systèmes de sécurité alors qu'une tempête éclate. Très vite les dinosaures retrouveront leur liberté et le rêve de Hammond tournera au cauchemar. Jurassic Park est un blockbuster typiquement spielbergien, profitant de l'esthétique américaine contemporaine initiée par son réalisateur, tout en conservant une structure classique inspirée de grands noms du cinéma antérieur.

 

En quoi peut-on qualifier Jurassic Park d'oeuvre à la fois classique et contemporaine ? En quoi illustre-t-il cette tension propre à la quasi-totalité de l'oeuvre de Spielberg ?

 

Voyons donc comment et en quoi Steven Spielberg, ainsi que son collègue et ami George Lucas, ont transformé dans les années 70 l'esthétique contemporaine du cinéma américain pour comprendre ensuite comment Spielberg les a réutilisé dans Jurassic Park. Malgré cette contemporanité de l'oeuvre de Spielberg, nous verrons en quoi il demeure un film classique d'un genre plus ancien pour enfin voir en quoi le film se représente lui-même.

 

 

Les genres de la série B des années 50 et des films d'exploitation des années 60 tels que la science-fiction, le film d'action, ou le cinéma d'horreur sont les genres privilégiés des grosses productions contemporaines telles que les sagas Star Wars, Men in black, L'Arme fatale, Die Hard, Indiana Jones, Gremlins, Retour vers le futur ou encore Jurassic Park.

 

Les Dents de la mer de Steven Spielberg provoquera une rupture économique dans le cinéma hollywoodien du milieu des années 70. Alors qu'avant, les films à message protestataire dominaient le marché, après Les Dents de la mer, ce sont les blockbusters à gros budget, à suspense et saturés d'effets spéciaux.

 

La Guerre des étoiles de George Lucas, provoquera en 1977 une deuxième rupture économique dans le cinéma contemporain. Les nouvelles conditions d'implantations des cinémas dans des centres commerciaux sont directement exploitées. Dans le même lieu, le spectateur peut désormais voir le film et acheter les produits dérivés. Les personnages sont, dans le film, typés par leur apparence extérieure, évoquant des personnages de bande dessinée, des figurines, des marionnettes, aussi leur épaisseur psychologique est facilement réductible a celle d'une poupée en vente à la sortie des salles où est projeté le film. Le film fait alors lui-même la promotion de ses propres produits dérivés. Il sera d'ailleurs vu plus tard, dans des films comme par exemple Small Soldiers de Joe Dante ou Toy Story des studios Pixar, une mise en scène des produits dérivés directement intégrés au film (les jouets vendus sont représentés dans ces films comme prenant vie, les produits dérivés sont les personnages centraux de ces fictions). Ceci étant également du aux multiples rachats et fusions des différents studios de production, devenus multinationales à diverses filiales, produisant toutes sortes de produits différents, dont les films devenus alors plus des produits de consommation de masse que véritables oeuvres artistiques.

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La visite guidée du parc.

 

Steven Spielberg initie les caractéristiques esthétiques du blockbuster contemporain avec Les Aventuriers de l'arche perdue en 1981. Selon la thèse de Dave Kehr, les blockbusters des années 80 sont en fait des films d'exploitation à gros budgets. Roger Corman, grand réalisateur et producteur du film d'exploitation à petit budget dira même en parlant des Dents de la mer de Steven Spielberg, qu'il «n'est guère plus qu'un film American-International-Pictures de drive-in, bodybuildé par un budget de grand studio» (American-International Pictures est le nom de la société de production de Roger Corman). Les Aventuriers de l'arche perdue, premier volet de la saga des Indiana Jones donne alors les trois caractéristiques esthétiques du blockbuster d'aujourd'hui, ce qui donnera à Spielberg son image d'amuseur plus que de véritable artiste, que l'on retrouve dans la plupart de ses oeuvres dont Jurassic Park et qui sont :

 

  • La recherche du mouvement perpétuel, c'est-à-dire un rythme soutenu par des plans très courts, des changements constants dans l'échelle des plans et les angles de prise de vue.

  • La «planéité» des personnages qui sont construits autour de leur apparence extérieure et dénués de toute profondeur, complexité ou intériorité. Ils sont explicitement donnés comme pure apparence et ne cherchent pas à donner une illusion du réel.

  • Le second degré omniprésent, la mise à distance du film par rapport à son propre genre. Le film ne cherche pas à faire réel, mais à montrer un genre dans ses archétypes récurrents. Il y a mise à distance entre le spectateur et la fiction représentée.

 

Ces trois déterminations esthétiques initiées par Spielberg dominent le cinéma hollywoodien de la fin du Xxème siècle et parcourent quasiment tous ses films. Dans Jurassic Park, cette vitesse limitée aux scènes d'action principales, ces personnages plats et typés et l'évolution de l'intrigue prévisible, sans complexité se retrouvent. Alan Grant qui déteste les enfants en début de film finit par se réconcilier avec eux, Hammond, créateur du parc apprend la modestie nécessaire de l'Homme face à la nature, Ian Malcolm est toujours sceptique pour de bonnes raisons qu'il sait expliquer, prévient Hammond des dangers de son invention et finit par avoir raison. Pourtant il maintient également des structures classiques évitant de transformer ses films en simples attractions (comme la plupart de ses imitateurs), cette tension entre classicisme et nouveauté traversera son oeuvre. Malgré cela, Jurassic Park pourrait néanmoins s'inscrire dans un genre plus ancien.

 

 

L'omniprésence du second degré se traduit par la mise à distance du film par rapport à son propre genre, ici, Spielberg utiliseras de multiples référence au cinéma fantastique d'exploitation qui ont influencé son oeuvre. Ce qui frappe au premier abord dans la construction de Jurassic Park, c'est sa structure extrêmement classique. Si les dinosaures sont le sujet principal du film, on ne les voit que 30 sur une durée totale de 120 minutes. En effet, les dinosaures sont regroupés en deux catégories distinctes : les dinosaures inoffensifs qui occupent des scènes naïves et poétiques pendant 8 minutes au total et les dangereux lors de scènes de suspense et de terreur, c'est-à-dire 22 minutes en tout. Les dinosaures de ces deux catégories apparaissent alternativement par trois (trois méchants, ensuite trois gentils, puis trois méchants etc...), mais leur répartition est cependant inégale dans le temps sur l'ensemble du film afin de créer un effet d'attente et de suspense.

 

Spielberg utilise d'ailleurs un procédé classique, lors de la première heure de film, ne sont donnés à voir que trois dinosaures inoffensifs, les dinosaures agressifs ne figurant que dans le hors-champs (comme lorsque nous ne voyons que des branches s'agiter dans l'enclos où un dinosaure est censé dévorer une vache vivante.) La déception des personnages de ne pas voir les dinosaures agressifs, la véritable attraction du film, permet une identification du spectateur, ce dernier, comme ses réferrents à l'écran veut voir les monstre, l'effet de suspense et de frustration du regard amplifiant l'attente et l'envie de voir.

 

Au milieu du film, au bout d'une heure, la longue scène de sept minutes où apparaît le tyrannosaure dans le champ de la caméra permet de débuter la deuxième heure de film lors de laquelle l'action se précipite jusqu'à atteindre son apogée lors de la scène de terreur la plus longue, durant neuf minutes, lorsque tyrannosaures et velociraptors, les deux espèces présentées comme les plus dangereuses, se rencontrent. Spielberg structure Jurassic Park comme les films d'horreur à petit budget des studios Hammer dans les années 60, dans lesquels les monstres apparaissaient progressivement et où étaient systématiquement présentées trois scènes d'horreur : la première pour mettre le spectateur en haleine, l'appâter et lui annoncer ce qui va suivre (pour Jurassic Park il s'agit des premières minutes où le velociraptor se fait capturé, sans qu'on puisse l'apercevoir), une deuxième scène plus explicite en milieu de film pour relancer l'effroi (la scène du tyrannosaure) et enfin une troisième pour amener une conclusion, une apogée de la terreur (la scène où figurent à la fois velociraptors et tyrannosaure).

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La première apparition du tyrannosaure.

 

Spielberg fait donc référence au cinéma fantastique des années 60 à travers la construction de son film, mais aussi à un sous-genre du cinéma fantastique de l'époque : le film de dinosaure. De plus, l'entrée principale du parc est une copie d'une porte figurant dans King Kong, référence soulignée avec ironie par le docteur Ian Malcolm « Hé, qu'est-ce qu'il y a là-dedans ? King Kong ? ». Enfin, il est écrit sur une banderole dans le hall principal du parc « When Dinosaurs Ruled the Earth » qui est le titre d'un film de dinosaure de 1970. Nous pouvons également rappeler la longue séquence du Monde Perdu, suite de Jurassic Park réalisée par Spielberg en 1997, hommage à Godzilla sorti en 1954 et au genre du film de monstre japonais, le Kaiju Ega, lorsqu'à l'instar des célèbres monstres géants japonais un tyrannosaure arrive dans une grande ville (Tokyo, victime récurrente des monstres de Kaiju Ega, sera alors remplacée par San Diego) engendrant de multiples décès, de nombreux dégâts et justifiant une profusion d'effets spéciaux, véritable intérêt de ces films. Et c'est peut être à ce genre que pourrait le mieux se rattacher Jurassic Park, car finalement, les dinosaures et les moyens techniques mis en oeuvre pour les représenter à l'écran constituent sans doute le véritable spectacle.

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La banderole « When disnosaurs ruled the Earth » et le triomphe du tyrannosaure.

 

 

Hammond pourrait être perçu comme double de Spielberg, l'un créateur du film, l'autre du parc et de leurs attractions distinctives, notons au passage que Hammond appelle ses petits enfants son « public cible » lorsqu'il les présente aux scientifiques. Lorsque Alan Grant, demande comment il a été possible de créer des dinosaures, Hammond fait une visite guidée aux personnages principaux leur présentant comment il a accomplit ce qu'ils avaient accepté (comme le spectateur) d'emblée grâce à la démonstration technologique des Brontosaures. L'explication de la création des dinosaures se fait d'ailleurs à travers des images en dessin animé, hommage à l'ancêtre des images de synthèse qui constituent les dinosaures dans le film, la visite guidée de Hammond expliquant comment il a créé les dinosaures sert à Spielberg à rappeler au spectateur l'évolution des images de synthèse, du dessin au numérique. Grâce au logiciel Softimage, le film amène l'image de synthèse à un niveau de réalisme jamais atteint, que le spectateur est convié à venir admirer à travers une campagne publicitaire vantant sans doute plus les effets spéciaux utilisés que le film en lui-même.

 

Malgré ce que l'on aurait pu croire de prime abord, l'attrait principal du film est donc moins les dinosaures que les moyens mis en oeuvre pour les représenter. Les bandes-annonces et la campagne publicitaire du film mettent l'accent sur l'artefact numérique que constituent les dinosaures, ne les montrant que très peu. Le spectateur ira alors voir le film avant tout pour voir ces effets spéciaux tant vantés par la campagne publicitaire préexistante au film. Indépendante du jeu d'attente et de résolution de la narration (qui est, comme nous l'avons vu, prévisible et dénuée de toute complexité), la satisfaction du spectateur dépend avant tout de la démonstration du potentiel technologique des effets spéciaux. Les dinosaures ne sont donc plus dans Jurassic Park des éléments informatifs pour la narration mais une attraction pour le spectateur qui, par sa mémoire publicitaire et médiatique préexistante à son entrée en salle, sait qu'il s'agit de simulations numériques dont la contemplation constitue ce pourquoi il est présent. Tout comme les personnages, réferrents écraniques du spectateur, sont venus pour la contemplation. Comme le spectateur entre dans la salle de cinéma pour voir des effets spéciaux, ils entrent dans le parc pour voir des dinosaures, ressuscités par la technologie que ce soit numérique ou biologique. Notons au passage que John Hammond appelle ses deux petits enfants avec ironie son « public cible ».

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La première apparition du brontosaure à l'écran.

 

La première scène montrant des dinosaures est celle où apparaissent les brontosaures, et il est intéressant de remarquer à travers cette scène combien Spielberg conditionne le regard du spectateur pendant tout le film en utilisant ses personnages. En effet, dans cette scène, les dinosaures ne sont montrés qu'au dernier moment, la caméra se concentrant avant tout sur les personnages contemplant un hors champ, que le spectateur ne verra qu'après une certaine attente. Les personnages, délégués écraniques du spectateur, retirant leurs lunettes de soleil, les yeux écarquillés et bouche bée soulignent la réaction voulue par Spielberg sur le spectateur, avant même de voir ce qui doit créer cette réaction, en effet, le spectateur a été conditionné dans la campagne publicitaire et sait ce qui doit créer cette réaction : les dinosaures promis par John Hammond pour les personnages et donc pour lui, les effets spéciaux promis par la campagne publicitaire du film. Les personnages indiquent où doit se porter le regard du spectateur, les regardants et regardés sont ensuite mis à distance dans le plan suivant dévoilant les dinosaures pour la première fois.

 

Cette ségrégation des regardants et regardés sera par la suite renversée. Si dans un premier temps les personnages regardant sont mis a distance visuellement par les clôtures électriques des dinosaures regardés, ces derniers à leur libération profiteront régulièrement de très gros plan sur leurs yeux (notamment les vélociraptors à la fin du film pourchassant les enfants).

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Un vélociraptor cherche les enfants du regard avant d'ouvrir la porte.

 

Le temps de la contemplation est alors terminé, l'artefact numérique est diégétisé et entre dans l'espace des regardants (personnages et spectateurs) leur retournant leur regard, comme les vélociraptors pénètrent dans les espaces intérieurs du parc en apprenant à ouvrir les portes, jusqu'alors seuls lieux de sécurité pour les personnages. Selon Michele Pierson, dans le cinéma hollywoodien de la fin des années 90 le produit technologique n'est plus un objet de pure contemplation mais fait partie intégrante à la narration, comme les effets spéciaux deviennent, une fois qu'on s'y est habitués, des éléments diégétiques à part entière et enfin comme les produits dérivés du parc entassés dans le magasin de souvenir du film font partie intégrante de beaucoup de magasins réels. Le logo du film de Spielberg est le même que celui du parc de Hammond, les produits dérivés sont également les mêmes, présents dans et en dehors du film, frappés toujours de ce même logo. Le parc devient le prolongement de la matière commerciale déjà vantée par la campagne publicitaire du film, il est un espace fictif justifiant et renforçant le jeu de contemplation et de marketing auquel sera soumis le spectateur.

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Les produits dérivés du parc.

 

Finalement, Spielberg utilise dans Jurassic Park une structure extrêmement classique empruntée aux films d'exploitation des années 60 tout en reprenant les caractéristiques de l'esthétique commerciale du cinéma américain contemporain qu'il aura initié dans les années 70. Il maintient une construction classique en évitant de transformer ses films en simples attractions. Jurassic Park est un film qui, à travers les dinosaures fait la promotion des moyens techniques qui font leur représentation. Comme la plupart des films de monstres tels que ceux du genre du Kaiju Ega, il est un support promotionnel qui se représente lui-même à l'intérieur de lui-même. Il illustre sans doute bien l'ensemble de l'oeuvre de Spielberg car s'il est jugé immédiatement comme divertissement dénué de toute profondeur artistique, il n'en demeure pas moins une oeuvre à part entière.


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