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El mag lob
16 mars 2011

The Servant

 

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Ce film traite d'un renversement des rôles du maître et de l'esclave par la domination psychologique dans une parfaite illustration de la dialectique de Hegel. Le domestique prend peu à peu l'emprise sur le monde du maître qui devient aliéné, dépendant et donc totalement soumis, ce qui est mis en image en fin de film lorsque Tony rampe aux pieds du domestique Hugo Barett. Ainsi malgré les rangs sociaux des personnages, le domestique finit par dominer totalement l'aristocrate par une appropriation de son territoire, c'est-à-dire la maison, figure centrale de l'œuvre. Hugo vit à l'étage au dessus de Tony, et est le seul endroit de la maison où la caméra ne rentre pas. Par là, Losey met en scène une destruction des valeurs bourgeoises et la perfection qu'elles symbolisaient à l'époque lorsque le domestique fait plonger son maître dans la folie et implicitement dans la drogue. Tout le film est tourné vers la relation d'Hugo et Tony, leur rapport de force, et surtout leur opposition.

 

Les femmes sont les doubles des deux personnages et les opposent encore. La blonde Susan, double de Tony (blond lui-même) s'oppose d'emblée à la présence du domestique dans la maison. Elle voit immédiatement le danger qu'il représente pour Tony. Elle a le recul nécessaire à Tony pour juger de la situation, ce qui lui manquera et provoquera sa perte lorsqu'elle le quittera. La brune, Vera enfin est le double d'Hugo (le brun), d'abord présentée comme sa sœur, puis révélée comme étant son épouse elle est une figure aux multiples visages, ambivalente et insaisissable. Alors que la complicité semble régner entre les deux hommes dans la deuxième partie du film, elle réapparaît, révélant la nature inchangée d'Hugo et prédisant au spectateur la suite des événement c'est-à-dire la chute de Tony que provoquera Hugo comme il l'avait déjà fait une première fois.

 

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Ce film est pleinement ancré dans son époque, les années 60, période de révoltes violentes notamment en Angleterre. Ainsi à travers cette destruction des valeurs bourgeoises ce film nous montre le passage au monde contemporain par la décomposition du monde ancien. S'illustre donc dans ce film la volonté de quitter les années d'après guerre très présente dans les années 60. Nous pouvons remarquer cela notamment dans le fort contraste entre le début et la fin du film.

 

Il y a aussi dans The Servant une certaine dimension autobiographique pour Losey, communiste ayant souffert du maccarthysme (qui l'empêcha de travailler et le poussera à quitter les États-Unis pour l'Angleterre). Losey est malgré tout issu d'une famille noble, le conflit présent dans le film des bourgeois se voulant révolutionnaires mais sans quitter leurs habitudes ni leur confort est le reflet d'un conflit intérieur du réalisateur.

 

Enfin, Losey ayant été proche de Brecht, une certaine influence de ce dernier se ressent dans son œuvre, notamment dans le travail des ombres et des décors. Dans The Servant, Le décor est une sorte de labyrinthe au sein duquel se cachent de multiples pièges dressés contre Tony à mesure que Hugo prend le contrôle des lieux. Ainsi nous pouvons voir de nombreux jeux de miroirs durant le film, l'escalier occupe la place centrale dans la maison ou encore la bibliothèque cache une porte. Le décor est une projection mentale de l'intériorité des personnages.

 

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Autre point de ce film très novateur pour l'époque est la relation homosexuelle latente, représentée avec la pudeur de rigueur de l'époque, qu'entretiennent les deux personnages principaux du film, signifiée à la limite de la censure dans la séquence où les deux personnages jouent à cache-cache. Ceci est précurseur dans l'assouplissement de la censure qui surviendra plus tard, Losey aborde un thème tabou à l'époque mais qui sera par la suite pleinement traité.

 

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L'œuvre de Losey est sans doute ce que l'on appellerai aujourd'hui un thriller psychologique. Tout le film est entièrement concentré sur la psychologie des personnages à travers leur relation. La tension est palpable et augmente à chaque minute entre les deux hommes. On comprend très vite que la situation est entraînée vers une impasse, vers le drame et sans doute vers une explosion des personnages qui serait le climax du film. Pourtant, cette situation inextricable dans laquelle se met Tony se reproduira deux fois. Piégé une première fois, lorsqu'Hugo lui demande de le réengager il accepte, cette autodestruction peut surprendre le spectateur malgré la dépendance du personnage pour son valet qui la rend inévitable. Prisonnier de sa maison, de son confort et donc de son domestique duquel il se retrouve dépendant, Tony est finalement prisonnier surtout de sa condition sociale. Hugo le domine sur tous les plans et est finalement le plus libre des deux hommes.

 

L'opposition entre les deux hommes se fera ressentir tout au long du film dés la première séquence. Alors qu'Hugo apparaît debout, vêtu de noir en contraste avec la lumière ambiante de la maison, il paraît soigneux, précis et maîtrisé alors que Tony se font dans le décor, endormi, affalé négligemment dans un fauteuil. L'oisif aristocrate est d'emblée dominé par son domestique. Mais toute la subtilité et l'ambiguïté de leur relation se fera dans un jeu de nuances. Le spectateur aura du mal à s'identifier aux personnages, repoussé par la naïveté, l'oisiveté et l'indifférence royale de Tony et par le caractère insaisissable d'Hugo. Ce dernier est d'ailleurs brillamment interprété par Dirk Bogarde. Son impassibilité affichée face aux provocations répétées de Susan, son sourire ironique continu et quasiment imperceptible, le personnage du domestique est un personnage ambigü, qu'on aime détester. C'est sans doute là un des points forts du film, le spectateur aura du mal à s'identifier aux personnages et se retrouvera mal à l'aise devant le rapport de force qu'entretiennent les deux personnages principaux de The Servant.

 

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Ainsi nous sommes ici presque à l'opposé du cinéma Hollywoodien type. En effet, nous avons ici affaire à des personnages complexes, profonds aux antipodes des personnages typés hollywoodiens et il est difficile de définir les intentions qui animent Hugo ou la suite des événements.

 

Le travail de la photographie dans ce film est également impressionnant, que ce soit dans les contrastes de lumière mis en valeur par le noir et blanc ou dans les nombreux jeux de miroir. Ces miroirs sont d'ailleurs significatifs, de la dualité entre l'apparence artificielle et l'intériorité des personnages. La quasi totalité du film se situe dans la petite maison que néanmoins on semble redécouvrir à chaque plan. L'atmosphère transformée au fil de l'évolution de la relation des personnages imprègne les lieux et en transforme la perception qu'on en a. Ainsi lors de la longue séquence de grande complicité entre les deux personnages principaux, le décor est plongé dans le noir, dans l'ombre alors que les personnages sombrent dans le jeu permanent et dans la débauche. La maison est toujours là, cadrant les personnages, les enfermant, elle est la prison de Tony et la propriété d'Hugo.


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